samedi 31 décembre 2011

La dernière nuit



La nuit du 31 décembre, certains morts avaient une permission spéciale.
De façon aléatoire, les plus célèbres d'entre eux et une poignée d'inconnus chanceux pouvaient sortir se promener dans les strictes limites de leur cimetière ou monument funéraire.
Voltaire et Rousseau se dégourdirent les cendres dans les couloirs du Panthéon, suivis par le cœur voletant de Gambetta qui brillait de mille feux et éclairait la crypte (d'ordinaire assez sombre après la fermeture). Ils débattirent avec calme pour une fois et finirent par faire un bridge avec les Curie, fort enjoués eux aussi.
Gainsbourg, du côté de Montparnasse, trouva assez de mégots pour fumer comme un pompier et composer sur le champ deux chansons, ma foi, assez intéressantes.
Ionesco et Kessel firent les choeurs, Man Ray fit semblant de les prendre en photo, car un spectre n'impressionne que les passants, jamais la pellicule.
Morrison n'était pas sur la liste de ceux qui sortaient au Père Lachaise (il faisait un peu trop de bruit, alors il était un peu puni) mais Alfred de Musset put écouter une causerie scientifique de Gay-Lussac très crédible de par sa connaissance désormais intime de ce qu'est un état moléculaire gazeux. Il aimait bien de temps à autre se manifester sous la forme d'un feu de Saint-Elme !
Les morts inconnus demandèrent des autographes, signés à même le fémur ou l'omoplate.
Il faisait doux et la petite pluie qui tombait ne dérangeait personne.
A minuit, des angelots amenèrent du champagne à la volée sur de jolis plateaux d'argent dans de larges coupes en cristal, modelées sur le sein de Marie-Antoinette, qui en vérité faisait du 95D, et sans silicone, Messire.
Tout le monde était légèrement pompette en retournant sous terre ou dans le marbre : ce fut un excellent réveillon. 

 

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