lundi 8 octobre 2012

Hopper : le peintre qui captait les instants silencieux

La très attendue exposition consacrée à Hopper, au Grand Palais, va attirer les foules. J’en serai. Dans ces toiles, c’est le silence qui règne. Ce type de silence bref qui fait surgir en nous des pensées profondes ou étranges. Hopper capte l’instant où des hommes et des femmes sont en introspection, en apnée soudaine dans leur quotidien. Regardez Nighthawks, son plus célèbre tableau : chaque personnage se tient coi pendant la seconde où notre regard extérieur se pose sur eux. Idem pour les sujets représentés dans une chambre ou un lieu privé. Ils sont apaisés ou mélancoliques, figés dans un moment intime, peut être puissant, toujours au ralenti. Dans une cafétéria ou au cinéma, le bruit extérieur : on a mis sur pause, on n’entend pas le vacarme : les décibels sont assourdis.
L’éclairage vient souvent de l’extérieur, une lumière crue et forte, cela ressemble à cette capacité à se voir du dehors que l’on acquiert quelques secondes, lorsque qu’un moment propice vous fait prendre du recul.
Il peint ces vides formidables laissés en creux dans la vie moderne, entre 2 actions, 2 rendez-vous, voire une dispute ou une rupture. Un instant magique nous est donné à voir. Quel contraste avec notre vie trépidante, pleine de kling-klang, de tweets et d’instantanés fugaces. Regardez encore : pas de téléphone, ni écran qui brille, pas de fil électrique qui dépasse, les lampes sont éteintes ou simple reflet dans une glace. Est apaisant de voir ce monde avec des voiliers doux, de vrais livres, des rideaux qui volent, des maisons sans antenne et des rues sans voitures.
Il vous est recommandé d’aller voir cette exposition, de vous en procurer des reproductions, de bien les observer et de partir… loin dans votre for intérieur.

Galerie dard

Chère taty Gwen,
Je suis arrivée dans la capitale, je m’adapte. A la crêperie, les clients râlent souvent, mais tu m’avais dit que dans leur fond, ils sont pas de mauvais gars. Je vais promener un peu dans Paris samedi et dimanche. Par Saint Guénolé, je dois te décrire un truc. A Brest même, on voit pas ça.
J’étais dans une venelle pas très large, la rue Saint-Claude et sur zone on trouve des « galeries d’art ».C’est comme une grande boutique, mais tu as peur de rentrer là-dedans. Il y a une devanture en verre et une pièce de 100 mètres carrés (ici 100 mètres carrés, c’est le prix d’un escorteur d’escadre)
Dans un coin, un petit bureau perdu, où une fille maigre comme un balai regarde d’un air écœuré un écran géant de la marque Apple (tu sais, l’ordinateur plat de l’architecte, près de la boulangerie Le Dantec).
Au mur blanc, il y a un petit écran de télé, sur lequel ils passent un film de gens dans la rue, on sait pas où, mais les images sont floues. Et le film repasse sans arrêt ! A côté, une série de cadres tout petits, avec un papier blanc là-dedans et juste un petit point noir dessiné au milieu. On dirait bien que c’est le même tableau plusieurs fois. J’ai écarquillé les yeux, pour voir, c’était ben petit. Il y en avait un où c’était pas un point mais un trait. Ils ont appelé le lot  « Errances 3 » et j’ai lu sur la porte que c’était fait par une artiste chilienne « en devenir ». Devenir quoi ? Au sol aussi, on avait mis un néon écrasé avec des fils et personne avait balayé, et c’était à vendre, au prix d’une voiture neuve à la concession Citroën, chez le fils Le Bris. Une table sur laquelle on avait jeté de la poussière était le chef d’œuvre au milieu de tout ça.
J’ai pris peur et je suis allée refaire un tour au Louvre.
Des bises
Ta Soizic        

vendredi 5 octobre 2012

Route Départementale 56

Depuis que l’autoroute C7 passe entre Jackson Heights et New Hope, la RD 56 n’est plus très fréquentée. A La station Mobil Oil du vieux Robinson s’arrêtent encore des petits camions, dont les chauffeurs las ne sortent pas, alors que Thelma actionne la pompe à gasoil.
Parfois, un automobiliste moins pressé pousse la porte et boit un café ou achète une barre chocolatée (pas trop de choix).
Pour les motos, le matériel est en panne, on ne sait pas si le technicien passera la semaine prochaine ou celle d’après. D’ici là, on leur dit d’aller sur la N 11, c’est 4 kilomètres vers le Nord, il y a une Esso qui fait tout.   
Souvent, Robinson met une chaise dehors et attend quelque chose qui ne viendra pas. Dans le soleil couchant, il fume un peu, réfléchit beaucoup.
Il écrase ses cigarettes à demi-consumées dans une cannette de soda ouverte en deux. Thelma l’appelle pour le dîner tous les soirs, à 7 heures précises.
Elle retourne l’écriteau sur la porte en verre du côté « closed » à 6 heures 30, depuis 25 ans. Il lui faut toujours une demi-heure pour faire cuire les haricots, le maïs et les travers de porc (ou les côtes de veau, selon l’arrivage chez Don, le boucher du bourg)
Elle doit parfois hausser le ton, il est perdu dans ses pensées.
L’autre jour, ce peintre de New York est venu et il a demandé s’il pouvait faire le portrait de Robinson, dans son fauteuil usé.
Thelma trouvait que c’était une bonne idée.
Monsieur Edward n’était pas causant. 
Il est resté 3 jours, il a fait le tableau et il est reparti: il a dit que la toile serait exposée dans un show, l’automne prochain. Elle est belle.
Les Robinson iront peut-être, d’autant que Thelma a une cousine qui habite Brooklyn. La station sera fermée 2 jours, mais pas grand monde ne le remarquera.

jeudi 4 octobre 2012

Fourrière derrière

Le préposé aux enlèvements de véhicules se frottait les mains. Un Peugeot 107 jaune, avec une roue sur l’emplacement livraison, un méchant PV sur le pare-brise et un sms pour le prévenir d’arriver vite. Un pigeon mal garé, une voiture à emporter vite fait. Une nana ? Ouarf. Pas de petits profits pour la dépanneuse qui ne dépanne personne.
Il arriva sur place, saluant la contractuelle qui salissait les pare-brise dans le secteur, distribuant les papiers verts comme les baffes à la maison.
« Salut Janine, merci pour… c’que tu sais », lui lança-t-il au passage, avant de se garer le long de sa prochaine victime à 4 roues. Prêt à la faire se balancer au moyen de son palan et l’emporter vers le sale dépôt.
Il sortit dans la fraîcheur de la soirée, posa les sangles autour de la Peugeot et s’apprêta à appuyer sur les boutons du treuil électropneumatique.
Il sentit un contact froid dans son cou et entendit une voix grave lui murmurer, très calmement :
« Tu restes zen et tu détaches cette voiture gentiment. Un ‘45 ça fait des trous larges comme des assiettes.»
Son sang se glaça et il s’exécuta comme dans un rêve, apercevant celui qui lui avait parlé. Un homme grand et mince, imperméable noir, lunettes et chapeau de la même couleur. Dans sa main gauche, un impressionnant revolver bleu acier.
Puis l’homme lui dit : « Mains dans le dos ! », lui posa des menottes, lui scotcha la bouche avec un adhésif large, le fit monter sur le plateau de la dépanneuse et s’y coucher. Les yeux écarquillés, il vit arriver Janine, menottée et bâillonnée, précédant tête basse un parfait jumeau de celui qui le menaçait.
Elle le rejoint, agenouillée à sa gauche. Ils tremblaient tous les 2.
«Et si on foutait le feu au camion ? » demanda le premier des tueurs à son frère d’armes.  

mercredi 3 octobre 2012

Troll de trame

Connaissez-vous les « trolls » sur Internet ? Non pas les monstres nordiques, mais les internautes dont les commentaires vous sautent au nez, à la faveur d’un forum, ou de commentaires postés au sujet d’un article dans un journal, version « e ». Postez un avis sur des sujets sensibles ou générant un débat « chaud » et vous verrez !
Comme à la pêche aux piranhas : deux gouttes de sang dans l’eau et ils arrivent, toutes dents dehors.
Quelques caractéristiques du « troll » :
Il (elle ?) se cache derrière un pseudo vaseux ou acerbe -voire ses initiales- et une image souvent canine, fréquemment bleu blanc rouge, voire un personnage historique.
Le troll attaque « ad hominem », quel que soit le sujet. Exemple : on parle d’un disque que l’on aime ou pas et paf , vous êtes qualifié de noms d’oiseaux. WTF ?
Le troll est collant : il insiste, il se cramponne, il répond à la réponse de la réponse de la réponse.
L’humour est au troll ce que le jus est au citron : soit acide, soit manquant.
Le troll a des allergies : l’orthographe et la syntaxe lui font mal aux doigts. Pauvre petit être sans références culturelles !
Le troll aime les mots en lettres CAPITALES (il peut ainsi hurler sa rage).
Le troll est à signaler aux modérateurs, qui parfois les regardent passer sans réagir.
Il est intéressant de constater que des individus frustres et frustrés ont trouvé ce moyen pour se défouler, tout en restant en slip (propre ?) chez eux, face à un écran et frappant (au moins, c’est déjà ça !) leur clavier.
Lançons le débat. Liberté totale ou censure nécessaire ?
Amis « psys » de toutes spécialités, qu’en pensez-vous ? Est-ce un pis-aller, une soupape de sécurité pour des individus qui, sans ce défouloir, hurleraient sur DES GENS ou grifferaient autre chose que leur clavier ?

mardi 2 octobre 2012

Grand slam de la panne

Allez, allez, j’ai pas d’idées.
Ch’ui en panne, encrier sur la réserve, il me faut un re-fioul, un passage frontal chez Total, un coup de benzène chez Gégène. Total recall, faudrait me réviser, mes circuits sont flashés, chez Darty périmés. SAV ou ça veut pas, garantie fatiguée, le temps est écoulé. Tu sais ch’ui pas Conrad, juste un peu con, bien en rade. Allez, allez, j’ai pas d’idées, il me faut dérider. Décider, décaler. Là tu me vois décalqué. Comme la moule marinière, rayée et DCD, noyée dans son vin blanc, toute molle contre les frites.
En rade de best, au large du top, dérivant parmi les récifs et les vagues. Inspiration claquée, un pneu dégonflé, les autres sans pression. Cornerstone ou Firestone ? Y’a pas d’Goodyear : C’est pas la bonne année, Allez, allez, j’ai pas d’idées. Limite à mettre en bière, exquis comme un cadavre, rigor mortis pour mes pensées.
Sers-moi donc une verveine, j’ai plus la verve, j’ai pas la haine. Façon Elvis comme à Vegas, bouffi, ballot, j’trouve plus les mots. Allez, allez, j’ai pas d’idées, le courant est coupé, on en perd la révolte. Les ohms, ma flemme, tout est grillé, les fusibles ont sauté. Même au ciel, c’est délavé, les orages sont passés, bonjour sérénité. Pas d’éclair dans la nuit chaude, pas d’orage contre la machine, le tempo s’est calmé, le binaire peut s’arrêter.
Allez, allez, j’ai pas d’idées, mon cortex est torché, le trop plein a fuité. Bashung, tu m’as quitté, Biolay tu t’es barré, mais où est Lavilliers ? Quand je pense à Hugo, à Rimbaud, à Dolto, ça me donne le tournis, dans les jambes des fourmis. Voltaire jamais crevé, Verlaine jamais couché et ma pomme déjà ridée ?
Allez, allez, j’ai pas d’idées, va falloir cravacher, réveiller. Secouer l’clavier, car l’azerty en vaut 2.         

lundi 1 octobre 2012

Minibus VW

Au début, juste Jo et Jack. Pour son 17 ème anniversaire, Jo reçoit une guitare acoustique de son père. Sa mère ajoute des 33 tours de jazz. Un oncle moins austère lui offre des partitions de Chuck Berry.
Dans sa chambre, ils apprennent Johnny B. Goode par cœur.
Jo pince les cordes avec conviction, Jack tape sur une poubelle renversée.
En Terminale, ils rencontrent Sammy qui joue de la basse et Nat’ qui a une voix d’or et de beaux yeux verts. Elle chantera.
Première répétitions dans le garage du grand père de Sammy, enregistrement avec un vieux 4-pistes. Une vingtaine de morceaux, des concerts dans les bars et MJC. Un an après, le bac et le permis.
Encore 6 mois, des boulots d’été, ils achètent un minibus Volkswagen pour une tournée en France. Ils jouent beaucoup, partout, des fans commencent à les suivre.
Coup de chance, ils remplacent un « gros » groupe sur la grande scène d’un festival, un an après, en Juillet ; public réceptif, début de bouche à oreille ; interview dans Rock and Folk.
Maquettes sur cassettes envoyée à 4 maisons de disques, les mêmes que sur les pochettes de leurs groupes préférés. Une réponse positive arrive. Rdv chez le producteur. Les riffs de Joe, les yeux verts de Nat’… on démarre avec un 45 tours qui passe dans la bonne radio, les ventes qui décollent. Un album produit par un vieux magicien des studios.
200000 exemplaires écoulés. Olympia archi-complet. Première partie des Satash à Londres, belle tournée US à succès. Deuxième album enregistré avec le producteur des UB2, plan marketing de pré-lancement colossal.
Les freins du minibus ont lâché un soir, sur l’A13 en rentrant d’un gala, 3 tonneaux, pas de survivant.
Hé ! La dernière phrase était une blague. Il y a longtemps que le minibus achève de rouiller dans un jardin.